J'ai bien compris qu'il se passait – encore – un truc du côté de la Palestine. La fréquence des mails de propagande de mon prolixe ami Youssef s'est rapidement intensifiée, comme au plus fort de la crise Dieudonné cet hiver. Essentiellement des liens vers des vidéos. Que je ne regarde pas. Et puis il est passé aux SMS. Ça c'était inédit. Appel au boycott, citation d'Einstein, parallèle avec les bombardements de Franco me laissant dubitatif… là, je me suis dit que ça devait prendre de l'ampleur, que lémédias avaient dû trouver un petit nom à cette nouvelle crise, du genre "intifada épisode 12". Sans susciter pour autant chez moi l'envie d'approcher un kiosque, encore moins de croiser par malheur un poste de télévision à l'heure des infos.
Il faut dire que ça pourrait arriver facilement, voyez-vous. Je n'habite pas aux Kerguelen ou dans un bunker, mais dans une grande ville française, avec plusieurs déplacements hebdomadaires à Paris en TGV. Des kiosques, j'en croise au moins cinq à chaque trajet en train. Dont deux à 10 mètres l'un de l'autre dans ma gare de province. Pareil pour les postes de télévision à l'heure des infos. Surtout depuis qu'on a inventé les chaines de télévisions où c'est toujours l'heure des infos. Et que ces chaines sont retransmises dans le hall de tout siège social qui se respecte, dans la salle de petit déjeuner de tout hôtel qui se respecte, dans la salle de toute brasserie qui se respecte.
Bref, je vis au cœur de la société hyper-médiatisée... sans les médias ! Mon bunker virtuel, je l'ai bâti au fil des années, presque inconsciemment mais inexorablement. Sur une période de douze ou quinze ans, j'ai éteint les canaux un par un : la télé, la radio, la presse écrite – que j'utilisais finalement peu – et les deux petits derniers, les plus intrusifs, la presse gratuite et le web. Restent quelques poches de résistance éparses, quelques lucarnes récurrentes ou ponctuelles dans les murs du bunker qui sont autant d'opportunités de questionner l'existence de celui-ci. Et puis les mails de Youssef. Avec ses liens vers des vidéos que je ne regarde pas. Et maintenant ses SMS. Que je lis. Il est malin Youssef, il a tout compris au multicanal.
Ce conflit Israélo-Palestinien, c'est peut-être l'un des fondements de ma médiaphobie. Pas à cause d'un quelconque parti pris, que les rares voix qui parviennent au fond du bunker me semblent de plus en plus nombreuses à dénoncer. Mais pour la lassitude que le flux médiatique provoque. Je n'avais pas quinze ans lorsque j'ai compris que je passerai ma vie, aussi longue serait-elle, avec cette guerre. Et je me souviens l'avoir clairement formulé, m'en être indigné, plaint. Ma diatribe adolescente maladroite, dont l'auditoire devait au mieux être constitué de mes deux parents, s'en prenait probablement davantage aux belligérants qu'aux messagers.
Et alors quoi ? Arafat et Barak auraient dû faire "top-là" une bonne fois pour toute à Camp David, juste pour me faire plaisir à moi, petit blanc nanti qui ne veut pas se faire gâcher ses soirées par le décompte des atrocités de leurs troupes ? Tel n'est pas mon propos, en tous cas aujourd'hui. Ce flux quotidien d'actualités, avec toutes ses approximations, ses manques et ses travers, a contribué à ma compréhension de la marche du Monde. Je m'en suis nourri entre 10 et 20 ans. À présent que je me suis forgé une bonne idée de comment tout cela tourne, sur la base d'une mécanique humaine relativement immuable, puis que j'ai pris la dimension de la déformation que constitue le prisme médiatique entre 20 et 30 ans, je ne dis pas que lémédias sont tous mauvais, inutiles à toutes et à tous, ou que sais-je. Je dis simplement que moi, citoyen français actif, éduqué, père de famille dynamique et entreprenant, j'ai choisi de vivre sans eux.
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