dimanche 31 août 2014

Pigasse-Rotschild

Soixante-dixième année… déjà !
-Eh oui, c'est vieux comme le Monde !"
Plaisanterie facile hier soir au comptoir de notre bar cosy et tendance en réponse à ma compagne qui lit ingénument l'en-tête du "quotidien du soir" dont un exemplaire est religieusement posé à côté de la caisse, solitaire étendard de vertu médiatique française dans cet endroit distingué.

La Une est consacrée au remaniement ministériel, photo du visage d'Hollande en plan serré à l'appui. Il a changé de lunettes, non ? Il faut dire que ça fait un bail que je n'ai pas croisé l'image du visage de notre Président de près. J'ai même failli oublier que Valls était Premier Ministre ! Je me souviens d'une époque où, passionné de politique intérieure par atavisme, je pouvais citer aisément plus des trois quarts des noms des ministres, et raillais la difficulté de certains congénères à en aligner deux ou trois. La légende disait même qu'une part non négligeable des candidats à je-ne-sais-quel concours prestigieux aurait été infoutue de citer le nom du Premier Ministre en exercice. Outrage à la République !

Las. Ce jeu de marionnettes interchangeables a totalement cessé de me passionner. La déconfiture idéologique du PS, que plus personne ne peut s'autoriser à associer au concept de "gauche" en ma présence sans que je ne le reprenne vertement (sic), recèle sans doute une part de responsabilité plus grande encore dans cette lassitude que la mesquinerie du ballet médiatique qui l'accompagne. Qu'importe la virtuosité des musiciens lorsque la partition est aussi crasse ? Le dernier élément de la vie politique française qui a attiré mon attention fut le discours de Taubira à l'Assemblée Nationale pour l'ouverture des débats sur le mariage pour tous. Ma chérie est rentrée à la maison en disant que ses amis-de-réseau-social en recommandaient chaudement le visionnage. Nous l'avons regardé côte-à-côte, assis dans le lit avec l'ordinateur portable posé sur les genoux, du début à la fin. C'était beau ; j'ai pleuré.

Quant à ce nouveau gouvernement Valls, je n'en connaîtrais pour l'heure, et ce jusqu’à ce que les frasques de l'un-e ou l'autre parviennent à s'infiltrer par une meurtrière de mon bunker anti-médias, que les trois noms égrenés plus tôt dans la soirée par ma chérie "Belkacem à l'éducation, exit Montebourg, et un ptit nouveau aux finances qui sort de chez Rotschild". Ah tiens, ça ne fait qu'un seul nom de Ministre en fait… à l'évocation de cette référence dans le CV du grand argentier, nous nous en sommes immédiatement tapé une bonne tranche en répétant avec des trémolos dans la voix la grande tirade du discours de campagne au Bourget.

dimanche 24 août 2014

Bagdad-Rome

"Un quart d'heure de France Inter, j'ai ma dose d'atrocités pour l'année, peut-être même deux". Ce n'est pas moi qui l'ai dit, c'est ma chérie. Après que, sur le chemin du retour des vacances, abrutis par des heures de route à faire slalomer notre vieil autoradio-K7 entre les publicités pour tenter de couvrir le ronron du diesel par une musique au goût de nos oreilles, j'ai étrangement commis une entorse à mon ascétisme en laissant France Inter débiter lézinformations.

Il faut dire que ce n'est pas rien France Inter. C'est une cicatrice profonde. C'est probablement mon histoire la plus sérieuse avec une source d'informations. Combien de temps ai-je religieusement écouté la matinale dès le réveil et jusqu'à l'arrivée au boulot ? Deux, trois ans peut-être de belle fidélité avec ce ballet bien huilé. Actualités, reportage, actualités, invité, chroniqueur, questions des auditeurs triées sur le volet, actualités… jusqu'à cette violente rupture.

Non, ce n'était pas à cause de l'éviction de Didier Porte et Stéphane Guillon par Philippe Val et son "nez rouge" facultatif. Déjà à l'époque je n'écoutais plus de la matinale que leurs chroniques en podcast. Pas la première tentative d'éviction de Mermet non plus, ni la deuxième, ni la dernière… il semblerait que la série touche à sa fin si j'en juge le ton plus vaincu que jamais des campagnes de soutien qui parviennent dans mon bunker. Pas non plus l'éviction, moins bruyamment relayée mais tout aussi significative de Martin Winckler pour avoir osé, le félon, attaquer le lobby pharmaceutique à l'antenne. C'était un peu avant ou un peu après… à l'ère Paoli donc, avant que sa santé ne l'écarte du micro de la matinale. À propos, savez-vous quelle folle rumeur avait couru chez les zoditeurs de France Inter ? Que les appels quotidiens des fatals flatteurs du regretté "plan B" pendant la séance de questions à l'invité étaient à l'origine de ses problèmes de santé ! Rien que ça.

Bon, vous avez trouvé quelle erreur de ce bon Paoli je n'ai jamais pardonné à France Inter toute entière (moins Mermet, Porte, Guillon, Aram et Morel en podcast, modestes et géniales fenêtres dans les murs de mon bunker médiaphobique) ? Pas son manque critique de goût pour le calembour, le laissant sans voix lorsqu'un auditeur prétend crânement être un parent car lui aussi n'est "pas au lit" bien sûr, mais sa systématique prise de partie en faveur du "oui" pendant toute la campagne du référendum sur le traité constitutionnel. Ce défaut de neutralité politique caractérisé, ce bourrage de crâne quotidien, qui n'est en rien excusé par son échec dans les urnes.

Bref, au menu des réjouissances notamment aujourd'hui, l'Emir de Bagdad revendique l'assassinat d'un journaliste américain, ce qui provoquerait un revirement à 180 degrés de la politique extérieure d'Obama au Moyen Orient. Eh ben ! c'est du lourd pour un mois d'août ça ! Je prends un cours de rattrapage accéléré au passage : les soldats de l'Oncle Sam auraient quitté l'Irak et un gouvernement islamiste aurait pris la suite, avec cet Emir tortionnaire à sa tête. J'apprends aussi que le journaliste avait souscrit une assurance privée pour négocier son hypothétique libération en cas d'un éventuel enlèvement, puisque le gouvernement amerlocain se refuse à rentrer dans de telles combines… Quel beau business ! Le patron de la boîte en question – cocorico, il est français ! – est interviewé et fait la promotion à l'antenne de son sympathique et méconnu commerce, pas intimidé pour deux sous par l'annonce de ce cuisant échec dans sa mission. Je me coucherai donc un peu plus cynique ce soir.

dimanche 10 août 2014

Palestine-Kerguelen

J'ai bien compris qu'il se passait – encore – un truc du côté de la Palestine. La fréquence des mails de propagande de mon prolixe ami Youssef s'est rapidement intensifiée, comme au plus fort de la crise Dieudonné cet hiver. Essentiellement des liens vers des vidéos. Que je ne regarde pas. Et puis il est passé aux SMS. Ça c'était inédit. Appel au boycott, citation d'Einstein, parallèle avec les bombardements de Franco me laissant dubitatif… là, je me suis dit que ça devait prendre de l'ampleur, que lémédias avaient dû trouver un petit nom à cette nouvelle crise, du genre "intifada épisode 12". Sans susciter pour autant chez moi l'envie d'approcher un kiosque, encore moins de croiser par malheur un poste de télévision à l'heure des infos.

Il faut dire que ça pourrait arriver facilement, voyez-vous. Je n'habite pas aux Kerguelen ou dans un bunker, mais dans une grande ville française, avec plusieurs déplacements hebdomadaires à Paris en TGV. Des kiosques, j'en croise au moins cinq à chaque trajet en train. Dont deux à 10 mètres l'un de l'autre dans ma gare de province. Pareil pour les postes de télévision à l'heure des infos. Surtout depuis qu'on a inventé les chaines de télévisions où c'est toujours l'heure des infos. Et que ces chaines sont retransmises dans le hall de tout siège social qui se respecte, dans la salle de petit déjeuner de tout hôtel qui se respecte, dans la salle de toute brasserie qui se respecte.

Bref, je vis au cœur de la société hyper-médiatisée... sans les médias ! Mon bunker virtuel, je l'ai bâti au fil des années, presque inconsciemment mais inexorablement. Sur une période de douze ou quinze ans, j'ai éteint les canaux un par un : la télé, la radio, la presse écrite – que j'utilisais finalement peu – et les deux petits derniers, les plus intrusifs, la presse gratuite et le web. Restent quelques poches de résistance éparses, quelques lucarnes récurrentes ou ponctuelles dans les murs du bunker qui sont autant d'opportunités de questionner l'existence de celui-ci. Et puis les mails de Youssef. Avec ses liens vers des vidéos que je ne regarde pas. Et maintenant ses SMS. Que je lis. Il est malin Youssef, il a tout compris au multicanal.

Ce conflit Israélo-Palestinien, c'est peut-être l'un des fondements de ma médiaphobie. Pas à cause d'un quelconque parti pris, que les rares voix qui parviennent au fond du bunker me semblent de plus en plus nombreuses à dénoncer. Mais pour la lassitude que le flux médiatique provoque. Je n'avais pas quinze ans lorsque j'ai compris que je passerai ma vie, aussi longue serait-elle, avec cette guerre. Et je me souviens l'avoir clairement formulé, m'en être indigné, plaint. Ma diatribe adolescente maladroite, dont l'auditoire devait au mieux être constitué de mes deux parents, s'en prenait probablement davantage aux belligérants qu'aux messagers.

Et alors quoi ? Arafat et Barak auraient dû faire "top-là" une bonne fois pour toute à Camp David, juste pour me faire plaisir à moi, petit blanc nanti qui ne veut pas se faire gâcher ses soirées par le décompte des atrocités de leurs troupes ? Tel n'est pas mon propos, en tous cas aujourd'hui. Ce flux quotidien d'actualités, avec toutes ses approximations, ses manques et ses travers, a contribué à ma compréhension de la marche du Monde. Je m'en suis nourri entre 10 et 20 ans. À présent que je me suis forgé une bonne idée de comment tout cela tourne, sur la base d'une mécanique humaine relativement immuable, puis que j'ai pris la dimension de la déformation que constitue le prisme médiatique entre 20 et 30 ans, je ne dis pas que lémédias sont tous mauvais, inutiles à toutes et à tous, ou que sais-je. Je dis simplement que moi, citoyen français actif, éduqué, père de famille dynamique et entreprenant, j'ai choisi de vivre sans eux.